Sitôt achevée l’anglaise originale, Beckett écrivit la version française et la confia à Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault, qui la créèrent en 1963. Elle devint un de leurs emblèmes, Renaud la jouera jusqu’à 86 ans : la pièce d’une vie. Car c’est de vie qu’il s’agit. Une petite et simple vie, d’une femme, dit le texte, qui monologue enfoncée jusqu’à la taille dans un mamelon de terre et d’herbes sèches, au beau milieu d’un nulle-part désertique « imaginairement réel ». Ce pourrait être un cauchemar. Or le moindre événement ici fait sens, remplit une âme de joie, incite au lendemain. Performance pour une actrice, Oh les beaux jours se tisse ainsi de rires et d’émotions, de plaisirs infimes portés à l’incandescence éblouie. Beckett n’est pas un auteur « social » : l’humain l’intéresse plutôt comme vecteur de langage. Si on le range faute de mieux au rayon de l’absurde, voire parfois de la cruauté, c’est peut-être aussi parce qu’il interroge sans fin, sans fard, dans tout son théâtre, le corps vieilli devenu gag et la mort — pas même grignoteuse, puisque de temps il n’est plus, simplement une attente.